Chiour par Mr Le Rabbin Daniel GOTTLIEB


 
 

C H E L A ' H   L E K H A


 
 

La sidra de "Chela'h lekha" fait partie de ces chapitres bibliques qui sont essentiellement narratifs. Le texte parle ainsi de l'affaire des "explorateurs".

Ce qui attire notre attention, c'est que dans la longue série des chapitres strictement narratifs, on trouve à la fin de "Chela'h lekha" un paragraphe normatif, qui comporte l'instauration d'une mitzva. Il s'agit d'un paragraphe bien connu puisqu'il s'agit du troisième paragraphe du "Chema" qui institue la mitzva des "tsitsit".

Nous essayerons de comprendre en quoi consiste la faute des explorateurs. On peut parler de faute puisque le texte biblique nous dit qu'ils ont été punis ; nous essayerons peut être aussi de comprendre pourquoi à la suite de cette faute, le récit biblique est interrompu par l'institution de la mitzva des tsitsit.

L'histoire des explorateurs est apparemment très simple. Les Hébreux sont dans le désert, ils ont quitté l'Egypte depuis quelque temps et ils marchent dans le désert vers la Terre d'Israël. A un moment, Moïse envoie des explorateurs vers la terre de Canaan et leur demande de voir (Nombres XIII, 18-20) : "le pays, ce qu'il est, et le peuple qui l'habite, s'il est fort ou faible, s'il est en petit ou en grand nombre ;  ce qu'est le pays où il habite, s'il est bon ou mauvais; ce que sont les villes où il habite, si elles sont ouvertes ou fortifiées ; ce qu'est le terrain, s'il est gras ou maigre, s'il y a des arbres ou s'il n'y en a point. Ayez bon courage, et prenez des fruits du pays".

On peut d'ailleurs aisément comprendre que le peuple ait été curieux de savoir comment allait se dérouler la suite de son histoire. En fait, dans la sidra de Chela'h lekha, c'est Dieu qui dit à Moïse d'envoyer des explorateurs ; mais lorsque Moïse fera lui-même le récit de cet épisode dans le Deutéronome, Dieu dira que c'est à l'instigation du peuple qu'Il a envoyé des explorateurs (Deut. I, 22) : "Vous vous approchâtes tous de moi, et vous dîtes: Envoyons des hommes devant nous, pour explorer le pays, et pour nous faire un rapport sur le chemin par lequel nous y monterons et sur les villes où nous arriverons. Cet avis me parut bon ; et je pris douze hommes parmi vous, un homme par tribu. Ils partirent, traversèrent la montagne, et arrivèrent jusqu'à la vallée d'Eschcol, qu'ils explorèrent. Ils prirent dans leurs mains des fruits du pays, et nous les présentèrent; ils nous firent un rapport, et dirent : 'C'est un bon pays, que l'Éternel, notre Dieu, nous donne'. "

 En fait tout se passe comme ci Dieu lui avait dit à Moïse, "c'est toi le chef, tu fais ce que tu veux ; si tu veux tenir compte des demandes du peuple, tu peux le faire ; Moi, Dieu, Je ne te le prescris pas".

Le fait est que Moïse a choisi des personnes éminentes, des représentants éminents de chaque tribu. Ils vont en Terre de Canan et ils en reviennent en disant que "la terre est excellente" ; ils en ramènent des fruits (Nb. XIV, 7), spécimen de la qualité de la terre et ils ajoutent- ce qui est tout à fait exact - que les villes sont fortifiées, que les gens qui y habitent sont forts et bien armés et que, par conséquent, il sera très difficile de conquérir le pays. Le récit biblique continue en disant que ces explorateurs ont été sévèrement punis.

Que leur reproche t-on ? En quoi ont-ils fauté puisque aussi bien le compte rendu de leur mission est un compte rendu honnête et vrai ?

Pour répondre à cette question, il peut être utile de constater précisément qu'à la suite de ce récit, figure l'institution de la mitzva des tsitsit qui consiste en ce que chaque Israélite mette des franges rituelles au coin de ses vêtements.

C'est une prescription concernant le vêtement. Tous les êtres humains portent des vêtements. On peut constater que l'institution du vêtement est rapportée dans la Bible aux tous premiers jours de l'humanité : la Tora nous dit qu'après que Adam et Eve eurent mangé du fruit qu'ils auraient dû ne pas manger, Dieu les a habillés ; Il leur a donné des vêtements de peau. On constate, comme pour l'affaire des explorateurs, que dans l'histoire de Adam et Eve, une institution qui porte sur le vêtement suit le récit d'une faute.

Essayons de voir, schématiquement, en quoi a consisté la faute de Adam et Eve.

Tout se passe comme si Adam avait été placé dans le Jardin d'Eden, ayant devant lui toutes sortes d'arbres aux fruits plus appétissants les uns que les autres. Cependant, l'un de ces arbres portait un panneau indiquant que ses fruits étaient interdits à la consommation.

Objectivement, Adam n'avait aucune raison de se priver des fruits de cet arbre mais, subjectivement, Dieu en a interdit la consommation. Or Adam a été créé à l'image de Dieu, c'est à dire libre, avec une intelligence qui lui permet de faire intervenir des arguments de l'ordre de la raison. Par conséquent, rien ne justifiait à ses yeux l'interdiction de manger des fruits de cet arbre. Adam a donc cédé à la tentation de l'objectivité et, c'est comme pour sanctionner cette faute que Dieu lui aurait donné un vêtement. Ce qui distingue l'homme de l'animal, c'est que l'Homme est habillé.

Quelle est donc la signification du vêtement ? Lorsque l'animal voit quelque chose qui le tente, il s'interroge pour savoir s'il peut le prendre, et s'il peut le prendre, il s'en empare. L'homme - tout homme - s'il a envie de quelque chose, avant de s'en emparer doit se poser la question de savoir si, sur le plan moral, l'acquisition de ce bien est licite. Le vêtement est comme un "pense-bête" qui doit permettre à l'homme de faire intervenir, avant d'agir, des critères de l'ordre de la morale.

Revenons aux explorateurs : la faute dont ils se sont rendus coupables est peut être d'avoir accepté la mission d'exploration qui leur a été confiée. En effet, en quoi consiste une mission d'exploration, de prospection ? Il s'agit de recueillir des éléments d'information en fonction desquels on décidera ce qu'il y a lieu de faire. Les Hébreux, dans le désert, étaient confrontés, comme Adam en son temps, au problème de savoir s'ils devaient aller dans la Terre de Canaan même s'ils trouvaient ailleurs une terre meilleure et plus facile a conquérir. Envoyer des explorateurs, c'était étudier la Terre d'Israël selon des critères objectifs ; or, si toutes les terres de la région se ressemblent, tout se passe comme si l'une d'entre elles, portait un panonceau disant "réservé : terre destinée aux enfants d'Israël".

La faute des explorateurs a donc été de se situer par rapport à la Terre Israël en catégorie exclusivement objective, alors qu'ils auraient dû faire intervenir l'argument de foi qui fait que la terre de Canaan est la terre vers laquelle doit conduire le chemin des enfants d'Israël.

D'ailleurs le texte biblique qui institue les tsitsit le dit tout à fait explicitement (Nombres XV, 39) : "Vous porterez des franges rituelles aux coins de vos vêtements, et quand vous les verrez, vous vous souviendrez des prescriptions de l'Eternel." Vous vous souviendrez notamment qu'on ne doit pas réfléchir à propos de la Terre d'Israël comme à propos de n'importe quelle autre terre. On doit savoir que c'est le lieu qui a été affecté à l'histoire du peuple juif.

Si l'on revient maintenant sur le sens général du vêtement, quand bien même le vêtement a été dévoyé de la finalité qui lui a été attribuée à l'origine, son existence doit être mise à profit pour obliger à réfléchir sur la légitimité du geste que l'on veut accomplir : il ne suffit pas de savoir si on est capable de l'accomplir, il faut encore savoir si on a le droit de le faire.

Parfois, par le biais de l'étude biblique, on peut retrouver le contenu de significations des choses qui nous entourent, même s'il s'agit de choses qui nous sont le plus familières.
 

Les Pirké Avot demandent, chaque fois que c'est possible, de porter des jugements favorables sur tous les hommes que l'on rencontre ou dont on entend parler.

Ainsi, faut-il tenter d'éviter de condamner les explorateurs sans leur trouver des circonstances atténuantes, voire des justifications à leur façon dissuasive de présenter le compte rendu de leur mission. Sans doute avaient-ils une conception trop élevée de la notion de sainteté qui doit être attachée à la vie du peuple d'Israël :

Dans le désert, les Hébreux se nourrissaient de la manne providentielle qui tombait du ciel, ils buvaient l'eau du puits miraculeux qui les accompagnait, et ils étaient protégés par les nuées providentielles qui les entouraient. Ils avaient par conséquent tout loisir pour se consacrer intégralement à la contemplation de Dieu ; ils avaient peur que l'entrée en terre d'Israël leur fasse perdre l'élévation spirituelle qu'ils connaissaient dans le désert. C'est donc peut être par souci de conserver la possibilité de se consacrer exclusivement à la contemplation de Dieu et à l'étude de la Torah qu'ils ont hésité à encourager le peuple à entrer en terre d'Israël. Leur faute consisterait donc, selon cette interprétation à avoir oublié que la Torah n'a pas été donnée à des anges, mais bien à des hommes parfaitement intégrés à la vie active et à la participation aux choses de la vie, en les sublimant par l'observance des règles de vie de la Torah.

La meilleure preuve en est que parmi les prescriptions qui précèdent le paragraphe des tsitsit (Nombres XV, 17), il en est une qui concerne le prélèvement de la 'Halla :

"Quand vous serez arrivés dans le pays où Je vous ferai entrer, et que vous mangerez du pain de ce pays, vous prélèverez … pour l'Éternel une offrande des prémices de votre pâte (la 'Halla)."

L'idéal, pour la Tora, ne consiste pas à se retirer ou à se détacher des préoccupations des choses de la vie, mais bien au contraire à y participer et à y contribuer sur la terre d'Israël. Quitte, pour cela, à prendre du temps pour planter, récolter, assurer la conquête puis garantir la sécurité du Pays et contribuer ainsi, dans le respect des règles de la Tora, à la bonne marche du monde.
 
 
 

Rabbin D. Gottlieb.

    Nos remerciements à Mr Le Rabbin Daniel GOTTLIEB
A suivre .....



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