Chiour par Mr Le Rabbin Daniel GOTTLIEB


 
 

«CHABBAT DE DIEU - CHABBAT DES HOMMES »


 

L'institution du Chabbat constitue l'une des pierres angulaires du Judaïsme.

Une réflexion sur le Chabbat implique nécessairement, d'une part, l'étude des règles qui caractérisent les pratiques de cette journée fondamentale et, d'autre part, la recherche des contenus de signification liés aux modalités d'observance. En ce qui concerne le Chabbat, plus encore que toutes les autres prescriptions religieuses, l'évocation des enseignements véhiculés par le Chabbat fait partie de l'observance du Chabbat.

Sur le plan méthodologique, il convient de se référer aux quelques sources bibliques mentionnant l'Institution du Chabbat, ainsi qu'à quelques Midrachim nécessaires à leur compréhension.

Le premier texte qui vient à l'esprit est celui qui, clôturant le récit biblique de la Création, nous apprend que : "Dieu a créé le monde en six jours, et que le septième jour, il s'est reposé" (Genèse II, 1). L'interprétation simpliste de ce verset ne saurait être satisfaisante, dans la mesure où elle laisse supposer que Dieu puisse se fatiguer, ce qui, bien entendu est totalement incompatible avec la perfection qui caractérise Dieu.

C'est un Midrach qui permettra de saisir ce qui s'est produit au moment de la cessation de l'oeuvre créatrice.

Le Midrach s'interroge en effet, sur l'activité à laquelle Dieu s'adonnait avant d'entreprendre la Création du Monde, et le Midrach de répondre que "Dieu créait des mondes et les détruisait".

Une remarque préliminaire s'impose ici : ce Midrach ne vise pas, bien entendu, à rapporter l'emploi du temps de Dieu dans l'éternité qui a précédé la Création. Sans se soucier de la réalité historique du Midrach, les Rabbins ont tenu à formuler de façon aisément accessible au vaste public auquel ils s'adressaient, des enseignements théologiques profonds. Ainsi, le seul fait de poser la question implique une réflexion sur le temps : le temps existe t-il pour Dieu ?

Qu'est-ce qui conduit Dieu à vouloir créer le Monde à un moment précis de l'Eternité?

Dire qu'Il créait des mondes et les détruisait, signifie d'abord que Dieu a besoin des hommes - "un Roi a besoin de sujets pour que sa royauté soit reconnue".

Mais on ne saurait davantage se satisfaire de l'idée que Dieu ait besoin de faire des brouillons. Cette idée est d'autant moins acceptable que le Monde qu'Il nous a confié semble loin d'être parfait : le texte biblique confirme que Dieu a donné à l'homme un monde qui doit être parachevé (Genèse II, 3).

Ainsi, loin de résoudre le problème posé, le Midrach cité semble y ajouter une difficulté.

En fait, que manquait-il aux mondes antérieurs pour qu'ils aient été détruits ? Qu'est-ce qui confère à notre Monde une stabilité dans la durée ?

Nos Sages répondent que la toute dernière chose que Dieu ait créée, et qu'Il n'avait pas introduite dans les mondes précédents, c'était précisément le Chabbat. Ainsi, le Chabbat a dû faire l'objet d'une création concrète : c'est parce qu'Il a créé le Chabbat qu'Il a pu cesser de créer.

Sans doute cette notion est-elle particulièrement difficile à saisir dans la mesure où, pour nous, le repos se définit de façon négative, par l'absence de travail (ou par la participation à une activité différente de l'activité habituelle).

Si nous disons que Dieu s'est reposé parce qu'Il a cessé de créer, la tradition nous oblige à considérer que c'est au contraire parce qu'Il a créé le repos qu'Il a pu cesser de créer  : " Bara Chabbat, bara menou'ha".

Que représente cette forme de "repos", surtout si elle est appliquée à Dieu ? Avant de répondre à cette question, il convient d'introduire une nouvelle remarque préliminaire concernant la lecture du Midrach. Sans doute n'avons-nous pas à chercher à comprendre la psychologie de Dieu, ni Ses mobiles. Par contre, si la Bible décrit certains comportements de Dieu, c'est pour que nous puissions nous inspirer des principes qui les justifient et pour nous aider à vivre "à l'imitation de Dieu". Ainsi devons-nous trouver dans le Midrach non pas des informations concernant Dieu, mais des indications que les Sages ont tenu à nous donner pour l'organisation de notre vie.

Ainsi en ce qui concerne le Chabbat, nous pouvons considérer que ce qui pousse chaque homme, et la société dans son ensemble, à agir dans le monde, c'est la conscience évidente qui s'impose à nous que notre environnement comporte des imperfections et des lacunes. C'est notre sens critique porté sur le monde qui nous conduit à créer, transformer, et améliorer.

Sans doute ce sens critique est-il à l'origine de tous les progrès spirituels et techniques accomplis par l'humanité au fil des siècles. Mais si l'homme n'était conscient que des imperfections et des insuffisances dans lesquelles il évolue, sans jamais pouvoir expérimenter la satisfaction dans l'être, sa vie lui deviendrait rapidement insupportable. Il lui est donc indispensable de pouvoir parfois "souffler", comme le texte biblique dit que Dieu l'a fait en créant le Chabbat (Exode XXXI, 17).

Dieu n'a certes pas été pleinement satisfait de l'état du monde dans lequel Il a placé l'homme, mais, en créant cette faculté de se contenter provisoirement de ce qui est et qui s'appelle "le repos", et en demandant d'observer le Chabbat, Dieu nous permet de percevoir ce que représentent la satisfaction, le repos, qui préfigurent la perfection vers laquelle l'homme doit conduire le monde qui lui a été confié.

Tout artiste, tout créateur, travaille à son oeuvre en faisant nombre de brouillons, d'esquisses et de projets, et l'on peut imaginer que jamais il n'a la prétention d'atteindre la perfection, mais, s'il n'était pas capable à un moment, de se satisfaire de ce qu'il a réalisé, la civilisation elle-même en serait restée à ses premiers balbutiements. Cette conception du Chabbat est confirmée par de nombreux textes et thèmes; évoquons les deux qui semblent les plus significatifs à ce sujet.

- la Bible stipule que l'on doit faire tout son travail en six jours et qu'il faut se reposer le septième (Exode XX, 9). Les commentateurs surpris par la formulation d'un ordre qui semble absolument inapplicable - comment pourrait-on achever TOUT son travail quand on mesure l'oeuvre qui reste à accomplir ? - interprètent ce verset en disant qu'il convient de faire le maximum de ce qui est possible durant les six jours ouvrables, mais qu'à l'entrée du Chabbat hebdomadaire, il faut se mettre en situation de considérer que tout le travail est accompli (Rachi ad loc.). Bien des modalités d'application des lois du Chabbat, notamment l'exigence d'avoir préparé avant Chabbat tout ce qui sera consommé pendant Chabbat, découle de cette compréhension du Chabbat.

- sans développer encore la notion de "Nechama Yetera", on peut déjà comprendre qu'il ne s'agit pas de l'irruption magique d'une "âme supplémentaire" chez celui qui observe le Chabbat. Ce supplément d'âme dont parlent les Sages, désigne la faculté de procurer un sentiment de satisfaction dans l'être tel que l'on n'est plus affecté par les imperfections ou les lacunes qui poussent habituellement l'homme à agir.

Tel est sans doute le contenu de l'expression biblique (Isaïe LVI) qui décrit le Chabbat comme un jour d'agrément et de délices.

Le second Midrach qui éclaire la signification du Chabbat souligne le fait que Dieu ait mis un terme à l'évidence de son intervention dans le monde à l'instant précis où Il a créé l'Homme : tout se passe comme si Dieu s'était "retiré" du monde.

Il va de soi que les Rabbins n'ont pas voulu donner dans ce texte comme dans d'autres, le détail de l'emploi du temps divin au dernier jour de la Création. Sans nous préoccuper de l'historicité de ce Midrach, il convient de chercher à comprendre ce que les Sages ont voulu nous enseigner à travers cette image.

Si l'homme et Dieu s'étaient rencontrés, ne serait-ce qu'un instant, ou si, en d'autres termes, Dieu pouvait se prouver, l'homme ne serait pas libre : "En présence du Roi, les sujets perdent toute liberté".

Tout se passe donc comme si le Chabbat constituait le fondement de la liberté de l'homme et par conséquent de sa dignité, dans la mesure où elle lui confère la possibilité d'acquérir des mérites.

Bien des textes qu'il est inutile de rapporter ici, expriment clairement la supériorité de l'homme par rapport aux anges : si tant est qu'ils existent, ils évoluent dans les cieux, dans la proximité immédiate de Dieu, et ne peuvent par conséquent que célébrer la gloire de Dieu et chanter des hymnes pour louer le Créateur. Mais ils n'ont aucun mérite à le faire, n'ayant pas d'autre choix. Créé à l'image de Dieu, c'est à dire libre, l'homme acquiert son mérite en intégrant Dieu à son existence.

Pour illustrer cette idée, et en préciser une implication immédiate, il convient d'indiquer dès à présent que cette réflexion occupe une place déterminante dans le grave problème théologique de l'injustice apparente de l'histoire. Ainsi, les philosophes du Moyen Age se plaisent à rappeler qu'il suffit d'avoir fait une fois la douloureuse expérience de la douleur que provoque le contact du  feu - "le feu, par nature ou par essence, brûle" -  pour n'être plus libre à l'égard du feu. Ainsi, si à l'instar de Pinocchio, le menteur voyait son nez s'allonger chaque fois qu'il profère un mensonge, il cesserait bien vite de mentir dans la mesure où il aurait perdu sa liberté face à une situation morale.

Qu'il n'existe pas de justice immanente est une manifestation du recul apparent que Dieu a pris par rapport au monde, condition nécessaire pour garantir la liberté de l'homme. Ainsi, le Chabbat commémorant la cessation de la Création confère à l'homme sa liberté par rapport à Dieu.

L'institution du Chabbat, figure, entre autres, dans le Décalogue. Si la première version du Décalogue (Exode XX) justifie le Chabbat par référence à la Création, la seconde version du Décalogue (Deutéronome VI) explique le Chabbat par référence à la sortie d'Egypte.

Ainsi, le Chabbat véhicule-t-il aussi l'idée de libération par rapport à la domination des hommes.

Parmi les règles qui caractérisent l'observance de Chabbat, il en est une qui veut que l'on s'abstienne de tout contact avec des objets "mouktsé",  habituellement destinés à effectuer des travaux interdits le chabbat, c'est-à-dire agir sur le monde pour le transformer ou l'améliorer. Comme cela a déjà été indiqué précédemment, l'utilisation de cette catégorie d'objets traduit un manque de satisfaction de l'être : indépendamment de toute considération de l'ordre du travail, de l'effort ou de la fatigue, la proximité de ces objets laisse place à la potentialité d'un sentiment d'insatisfaction incompatible avec le Chabbat.

On peut illustrer cette idée en constatant que le fait de porter de l'argent sur soi le Chabbat ne représente aucun effort, mais porter de l'argent c'est se laisser la possibilité d'éprouver un manque inattendu que l'on voudrait pouvoir satisfaire immédiatement. Et si répondre au téléphone ne constitue en rien un "travail" on peut comprendre ce qu'il signifie en citant Sacha Guitry qui disait, lorsqu'on l'appelait au téléphone : "on me sonne", comme un larbin qui doit répondre immédiatement à l'injonction de son maître.

Nous sommes devenus esclaves de nos propres productions : le Chabbat, par la règle du Mouktsé, nous permet de nous libérer de l'aliénation par rapport aux choses.

Ce retour à soi qui favorise la disponibilité pour les valeurs qui nous tiennent à coeur et que l'on doit parfois négligées pendant les jours ouvrables - valeurs culturelles, cultuelles, familiales ou communautaires et sociales - fait partie des délices enrichissantes du Chabbat.

Il va de soi que cette disponibilité que procure ainsi le Chabbat, sera mise à profit pour se charger d'un contenu positif : les joies de la vie de famille, la prière en commun au cours des différents offices publics, et surtout la lecture de la Paracha et l' étude de la Tora.
 
 
 
 

.Le Rabbin Daniel GOTTLIEB

    Nos remerciements à Mr Le Rabbin Daniel GOTTLIEB
A suivre .....



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