QU'EST CE QUE LA QABALAH? (4ème partie)
 
 

DES TECHNIQUES POUR PROVOQUER L'EXTASE

On peut assimiler l'Arbre de Vie à un "no-man-land" où des rencontres ont parfois lieu.
Mais lors de ces incursions, on prend des risques, même lorsqu'on a acquis
des armes et des méthodes pour affronter les épreuves.
La Tradition enseigne que le maintien d'une distance adéquate entre l'homme et l'objet de sa connaissance,
distance comparée à la portée d'une flèche au tir à l'arc,
est le vrai sens de la "crainte de Dieu", début de la sagesse.
L'amour du divin déclenche le désir d'ascension,
sa crainte crée la distance adéquate. La volonté et le désir d'ascension
suit le chemin inverse de celui de l'esprit prophétique qui, lui, descend d'en Haut
et il est reçu sans effort particulier.
Par convention on appellera "esprit saint", l'extase obtenue par des techniques de stimulation,
avec l'aide d'un maître sincère et selon des règles
bien précises.

Les pratiques de stimulation ont toujours existé mais se sont développées avec
la prolifération des écoles prophétiques, à l'époque des rois de Juda et d'Israël.
En effet, au fur et à mesure que le divin s'estompait et que l'esprit prophétique s'amenuisait,
on avait recours à des méthodes spécifiques pour le stimuler.
Il semble qu'en Terre Sainte, à l'époque des Rois, notamment après la construction du Temple de Jérusalem,
les méthodes de stimulation et d'éveil étaient communes dans la vie quotidienne du peuple
et qu'on y parvenait par la concentration et par la prière, chacun priant selon son coeur et son esprit,
en dehors de tout cursus préétabli.
Après la destruction du premier Temple et l'exil à Babylone,
l'enseignement et la pratique populaire ont progressivement disparu entrant dans la marginalité, accompagnés
de toutes les déviations qui en découlent. De ce fait, les académies "ésotériques" sont devenues plus discrètes,
voire secrètes, et n'étaient ouvertes qu'à des personnages ayant atteint un certain niveau
dans la voie du perfectionnement personnel.

En délaissant l'enseignement menant à l'"esprit saint", l'homme n'exploite plus son intériorité
et s'appauvrit. Mais d'un autre côté, en suivant la voie de pratiques non
conformes à un désir sincère et ardent, parfois sous la houlette de maîtres aventuriers ou pervers,
il sombre rapidement dans la magie, l'incantation et la sorcellerie,
dans lesquelles la vérité et le mensonge sont amalgamés.
Ceci expliquerait en partie la raison pour laquelle les organisations religieuses établies ont préféré figer toute
évolution spirituelle, dans un contenu strict et des règles précises du rituel et de la prière.

La voie de l'éveil authentique et désintéressé a toujours été étroite, comme le fil du rasoir.
Aussi, nous n'avons que des bribes d'information sur les méthodes de stimulation et
d'éveil pratiquées depuis trois mille ans.

On retiendra essentiellement quatre voies mentionnées plus ou moins discrètement dans la Bible et dans certains livres apocryphes. La voie la plus commune est la
méditation contemplation, accompagnée ou non d'une prière intérieure ou à voix basse. La deuxième voie fait appel aux sens, car il s'agit de musique accompagnée
ou non de mélodies ou de psalmodies. La troisième voie consiste à pleurer, pour vider son être de tout ce qui gênerait une vision. La quatrième voie, très particulière
et réservée aux initiés, n'est mentionnée que d'une manière indirecte, notamment dans les Psaumes et dans le Cantique des Cantiques. D'après Rabbi Aqiba, ce
dernier livre serait le livre le plus saint de la Bible et contiendrait les bases d'une voie d'élévation spirituelle non conventionnelle.

Toutes ces techniques supposent qu'il existe chez le candidat un désir ardent et sincère de parvenir à une "connaissance du divin", par un perfectionnement personnel
et que son âme se soit purifiée, à ses différents niveaux, par une longue préparation incluant l'étude, la pratique religieuse, l'abstinence et la pureté.

L'extase est un état évolutif où le sujet fait abstraction de son moi provisoirement. Cet état correspond au passage de l'être au non-être et s'accompagne d'une peur
morbide. Le sujet se met à trembler, puis son corps s'alanguit, il perd ses forces et les sens le lâchent, il a la sensation qu'il va mourir. C'est alors que surgit un flux qui
agit sur son âme, la fortifie et l'unifie. Un éclair l'illumine soudain et il reçoit un message dans une vision.

La méditation contemplation

La première mention biblique de la méditation concerne le patriarche Isaac dans les champs. Genèse 24/63-64:

"Isaac était sorti dans les champs pour se livrer à la méditation, à l'approche du soir. En levant les yeux, il vit que des chameaux s'avançaient. Levant les yeux,
Rébecca aperçut Isaac, et se jeta à bas du chameau"

La racine hébraïque du mot méditation (siah') a donné de nombreux sens: converser, parler, errer, nager, s'enfoncer, buisson, puits. En méditant, on remplace la
carapace édifiée autour de son ego, par celle d'un feu ardent et désintéressé. Comme le patriarche Isaac, il faut sortir de soi-même, traverser la porte de sa maison,
aller vers le puits vivant et s'y regarder comme dans un miroir. Isaac s'est dépouillé de son enveloppe physique, s'est isolé intérieurement afin de pouvoir converser
avec lui-même d'abord. Puis progressivement, les différents niveaux de son âme se sont imprégnés des effluves venant d'En-Haut. Le patriarche Isaac voit une
caravane de chameaux; ceci signifie qu'il a atteint la Sagesse. Il voit sa dulcinée Rébecca: il va alors à la rencontre de la partie cachée et inconsciente de son être,
l'"anima". Pendant un court instant, son esprit a triomphé de son corps et Isaac a bénéficié d'une grande lucidité.

On médite dans différentes postures. Moïse élevait les bras vers le ciel en les écartant, pour capter le flux d'En-Haut, soit debout, soit à genoux. Elie avait tendance à
s'asseoir et à se plier en deux, la tête enfouie entre les genoux. Daniel se jetait par terre. Il existe d'autres attitudes, non mentionnées dans la Bible, telle que la posture
"angélique", debout, genoux non pliés, pieds joints, à angle droit, avec un balancement du corps d'avant en arrière et d'arrière en avant. L'attitude sacerdotale
consiste à se couvrir la tête, le haut du corps et les bras d'un châle de prière, à lever les bras vers le ciel, les doigts écartés et groupés par deux, en dehors du pouce.

Impliquant la répétition des noms divins, les différentes méthodes de méditation ne sont transmises que de maître à disciple. Dans son oeuvre, Aboulafia décrit
différentes techniques complexes de respiration, de vocalisation et d'associations de noms divins qui permettent de parvenir à l'esprit saint. D'accès difficile, toutes
ces techniques entraînent une forte concentration du chercheur, qui alors descend au fond de son être, avant de monter vers le "char divin".

L'extase induite par la musique et les psaumes

On peut atteindre l'"esprit saint" en écoutant ou en chantonnant des mélodies et des psalmodies harmonieuses basées sur le texte des Psaumes. Dès l'époque des
premiers rois, les prophètes chantaient en groupe et arrivaient même à communiquer l'esprit prophétique au roi Saül qui en était dépourvu. 2 Samuel 10/10:

"Et quand ils arrivèrent à la colline en question, un choeur de prophètes vint à sa rencontre; l'esprit divin s'empara de lui, et il prophétisa au milieu d'eux."

Le roi David était un homme inspiré qui organisa des ensembles musicaux et des chœurs. Il créa même des instruments de musique. On raconte que David avait
accroché sa harpe à la fenêtre, au-dessus de sa couche. Vers minuit, la brise du nord commençait à souffler dans les cordes et, selon le gré du vent, une harmonie
mélodieuse réveillait le roi et l'invitait à étudier ou à écrire les Psaumes.

Le roi Salomon poursuit cette tradition notamment après l'édification du premier Temple. Les groupes s'élevaient en choeur pour atteindre une extase, appelant la
présence divine ou "shékhinah", celle-ci allant à la rencontre des chantres et des musiciens. Lors de l'inauguration du Temple, après que le roi Salomon eut prié et
après qu'il eut procédé aux sacrifices rituels, la Gloire de l'Eternel remplissait la maison qu'il venait d'achever pour Lui. A la vue du feu d'en-Haut, tous les enfants
d'Israël se mirent à genoux, ou la face contre terre, ou se prosternèrent, en chantant. Puis les prêtres rendaient hommage à l'Eternel par la musique et les chants.

Certains spécialistes auraient réussi à retrouver les mélodies de cette époque. Ce sont à la fois des plaintes et des invocations, pouvant paraître lugubres, mais ce
sont aussi des notes sacrées et fortes donnant des frissons. Il est probable que cette musique et ces chants induisaient un état d'extase pouvant mener à l'"esprit
saint". On ignore si cette extase entraînait la transe.

Pleurer

Il était d'usage de pleurer lors de l'anniversaire de la destruction du Temple. On pleurait également lors d'un acte de repentance, en vue d'accélérer la venue du
Messie.

La plus ancienne preuve des pleurs mystiques se trouve dans le livre apocalyptique d'Henoch II, dont j'ai parlé plus haut. Hénokh a des visions après avoir pleuré.
Dans un autre livre de cette époque (Ezra IV), il est écrit "j'ai jeûné sept jours, je me suis morfondu puis j'ai pleuré, comme me l'avait ordonné l'ange Ariel, et je
reçus une deuxième vision…". Un des élèves de l'auteur présumé du Zohar, Shimeo'n Bar Yoh'ay, se morfondait, car il oubliait aussitôt tout ce qu'il venait
d'apprendre. Il est donc allé se recueillir sur la tombe de son maître en pleurs; celui-ci lui apparut en rêve lui conseillant de répéter trois fois ce qu'il apprenait, pour le
mémoriser. Jusqu'à ce jour, les croyants vont se recueillir sur la tombe de cet éminent maître, à Meron près de Safed, en Galilée, pleurant toute la nuit, et espérant
avoir une réponse à leurs problèmes. Dans le Zohar, les personnages pleurent, puis ayant l'esprit plus clair, ont des visions. Lorsque le texte indique qu'untel est
monté sur son âne après avoir pleuré, c'est qu'il annonce une vision. Monter sur son âne c'est à la fois maîtriser le monde matériel et s'en détacher.

La combinaison et la permutation des lettres

Cette méthode est pratiquée depuis la construction du Temple, mais surtout au Moyen-Age et de plus en plus fréquemment aujourd'hui par des qabalistes. Il s'agit
d'une méthode particulière et subtile qui consiste principalement à obtenir des sens nouveaux au texte de la Bible, par la manipulation des lettres.

Elle n'est pas mentionnée explicitement, mais j'ai des raisons sérieuses de penser que le livre du Cantique des Cantiques recèle les bases d'une telle pratique.
Contrairement à la méditation ou à la contemplation des lettres et à l'extase musicale, elle est d'un accès plus difficile car elle implique des connaissances
approfondies en matière de linguistique et d'exégèses. Par ailleurs, plus que les autres voies de stimulation, elle est contraignante en ce qui concerne aussi bien les
facultés rationnelles, puisque la rigueur doit présider à toute recherche pour éviter les hérésies, que les facultés imaginatives et d'intuition, sans lesquelles toute
tentative est vouée à l'échec, car alors elle ne serait qu'un simple exercice mécanique.

Base de la recherche en qabalah, cette méthode, poussée à son paroxysme, peut induire dans certaines circonstances l'"esprit saint". Elle peut être combinée avec la
méditation et la contemplation des lettres hébraïques. Elle consiste à rechercher des sens nouveaux aux mots, aux versets ou à la totalité d'un chapitre ou d'un livre de
la Bible. Cette recherche est menée soit en découpant les mots ou les versets différemment, soit en combinant de différentes manières les lettres d'un même mot, soit
en procédant à des permutations, des acrostiches ou à des équivalences de valorisations numériques (guématria). L'analyse combinatoire poussée à un certain degré
apporte à celui qui l'exerce un certain ravissement, appelé "shaa'shaa" en hébreu, terme qu'on retrouve fréquemment dans les Psaumes. Autant que les autres voies,
sinon plus, cette méthode de recherche et de transcendance porte en elle les dangers d'atteindre en soi des limites périlleuses, auxquelles l'esprit n'est pas forcément
préparé. Elle présente néanmoins une sauvegarde, la difficulté d'y accéder.

Il est certain que des qabalistes, notamment ceux cités, ou simplement des individus en quête d'une transcendance ou cherchant à assouvir leur soif mystique aient
approché ou atteint l'"esprit saint", en pratiquant une de ces méthodes. Les traces écrites de ces expériences sont rares mais elles existent néanmoins.

Il y a lieu cependant de préciser que cette volonté délibérée de limiter la distance entre l'humain et le divin, même si elle est désintéressée, est pleine de périls. La folle
ambition de rétrécir cette zone de sécurité, remplie à dessein par l'univers angélique, entraîne des hérésies et des déviations. Seuls ceux qui s'y sont longuement
préparés peuvent s'y aventurer. Mais peut-être qu'un jour l'esprit prophétique authentique reviendra et s'emparera de tous les hommes, l'esprit qui est reçu sans avoir
à le rechercher! N'est-il pas écrit dans Joël 3/1:

"Après cela, je répandrai mon esprit sur toute chair, si bien que vos fils et vos filles prophétiseront, que vos vieillards songeront des songes et que vos jeunes gens
auront des visions."
 
 

Albert SOUED - 5 avril 2000

Nous remercions Mr Albert SOUED pour son travail remarquable
 



 

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